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Les sables de la mer de John Cowper Powys : une visite
[ ⇒ suite... ]
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Et chaque fois que nous contemplons cette fantasmatique
peinture — qui est notre vie, notre théâtre personnel avec
ses mimes spectraux — souffle cette brise lointaine issue
des espaces extérieurs, au-delà de la dernière galaxie, qui
nous rappelle qu'aucun homme n'a jamais compris le vrai
mystère d'un autre homme, ne lui a jamais suffisamment
manifesté de compassion, ne lui a jamais assez pardonné.
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GUIGNOL SUR LA PLAGE
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Cet après-midi, alors que les aiguilles de l'Horloge
allaient marquer quatre heures, Magnus en cours de flânerie
s'arrêta derrière les enfants massés au pied du guignol.
"Judy! Judy! Judy!" criait le père de Marret à l'intérieur
du petit théâtre en forme de cercueil.
Ce cri de défi plus qu'impudent rendait un son unique.
Il était brutal, impitoyable, révoltant. Magnus n'y sentait
pas moins vibrer une note indicible — ne correspondait-elle
pas, tout simplement, peut-être, à une résurrection de son
enfance? — qui le saisissait aux entrailles.
La voix de Mr. John était retentissante, elle avait
l'insistance, voire un peu la stridence, des sambuques qui,
à Babylone, conviaient au culte de l'idole élevée par
Nabuchodonosor. Elle évoquait les ricanements d'une ironie
vieille comme le monde, un complot de tous les mimes, de
tous les histrions de l'antiquité acharnés à clouer, en
choeur, sans l'ombre de pitié, de sympathie, de remords,
notre sensibilité moderne au pilori du ridicule.(...) Et
cet incorrigible petit réprouvé aux yeux en vrille, à
l'énorme nez rouge, au menton en galoche, ce Panurge ayant
pris du ventre qui cognait sur la rampe du petit théâtre,
il lui semblait l'entendre jaillir d'un terrier de lapins
sur le passage de ces pèlerins lamentables en poussant son
cri aux féroces intonations babyloniennes :
"Judy! Judy! Judy! Judy!"(...)
Magnus se mit ensuite à se demander qui, parmi les hommes qu'il connaissait en ville, ressemblait à ce braillard à grosse bedaine. "Voyons, se disait-il (et il allait être mis sur la bonne voie par les accents bien inspirés de l'homme du Guignol), il y a un peu de Guignol chez moi, chez Gaul, chez Jerry, chez le vieux Bartram, chez le Caboteur... Sans doute Guignol représente-t-il un élément essentiel de l'éternel masculin... 'le bon compagnon bien couillu' dont parle Rabelais... qui peu ou prou se retrouve en tout homme... (...)"
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